Qu'il s’agisse d’une absence imprévue en plein service ou d’un pic d’activité saisonnier, recruter un…
« Les jeunes ne veulent plus bosser » : que révèle vraiment la crise du recrutement dans le CHR ?

« Les jeunes ne veulent plus bosser. » Ce refrain provocateur résonne dans de nombreux restaurants et hôtels en manque de personnel. Face à la pénurie de candidats dans l’hôtellerie-restauration (CHR), certains employeurs accusent une génération jugée démotivée. La réalité, elle, est plus nuancée. Sur le terrain, les jeunes ne rejettent pas le travail, mais ses conditions. Horaires à rallonge, coupures épuisantes, salaires au ras du SMIC… Ces facteurs, bien plus que la passion du métier, sont au cœur d’un fossé grandissant entre recruteurs et candidats.
Derrière la pénurie, un ras-le-bol des conditions de travail
Les chiffres confirment l’ampleur du malaise. En 2024, 83 % des restaurateurs peinent à embaucher et 64 % déplorent un « manque de motivation » chez les candidats. Pourtant, ce n’est pas faute de bras : plus de 3 millions de personnes étaient toujours en recherche d’emploi en France mi-2023, de quoi pourvoir les 250 000 postes vacants estimés dans le secteur.
Le problème n’est donc pas une pénurie de jeunes, mais bien une inadéquation entre leurs attentes et les réalités proposées. « Les conditions de travail contraignantes : principale raison de la crise du personnel en restauration » titre sans détour une analyse du secteur. En effet, horaires décalés, week-ends travaillés, journées en coupure et heures supplémentaires non payées forment un cocktail auquel la nouvelle génération ne veut plus goûter.
Après la pandémie, nombreux sont les employés qui ont redécouvert le luxe des soirées libres ou des week-ends en famille. Les jeunes travailleurs, eux, affichent de nouvelles aspirations, privilégiant davantage le temps libre et le bien-être mental et physique.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages abondent pour expliquer ce rejet des anciennes pratiques. « J’ai enchaîné des journées de 12 heures en cuisine sans être payé de mes heures sup, ça m’a dégoûté du métier », témoigne un ancien cuisinier en commentaire d’une annonce de recrutement sur Facebook. Une jeune serveuse renchérit : « Je ne sacrifierai pas ma vie perso pour un SMIC. »
Le constat est partagé par certains professionnels aguerris du secteur. « Nous demandons trop par rapport à ce que nous payons… Pas de week-end, pas de vie sociale, la santé qui en prend un coup », admettait déjà une gérante sur un forum dédié de l’hôtellerie-restauration. Autant de voix qui illustrent un ras-le-bol collectif : ce n’est pas le travail que fuient les jeunes, mais l’idée de se donner « à 200 % » sans reconnaissance ni équilibre de vie.
Une prise de conscience et des pistes pour changer la donne
Acculé par les difficultés de recrutement, le secteur du CHR amorce une remise en question.
Pour commencer, certains employeurs révisent leurs pratiques et en tirent déjà des bénéfices. « J’ai fixé des horaires de travail de bureau (fermeture le soir, weekends et jours fériés) et je paie chaque heure au-delà de la normale. Résultat : après 3 ans, mon équipe est stable et motivée à 80 %… Il ne faut pas désespérer ! » raconte un restaurateur ayant repensé l’organisation de son établissement.
S’il reste rare de pouvoir fermer le week-end, de plus en plus d’enseignes aménagent des plannings plus humains : deux jours de repos consécutifs garantis, rotations pour éviter les coupures, fermeture le dimanche, etc. Ces ajustements, timidement lancés dès 2021, commencent à porter leurs fruits.
Du côté des rémunérations, des efforts ont aussi eu lieu. Début 2022, les partenaires sociaux du secteur ont signé une revalorisation salariale moyenne de +16 %, fixant le premier niveau 5 % au-dessus du SMIC. Mais dans les faits, cette hausse a surtout profité aux postes qualifiés, les employés de base n’ayant souvent obtenu qu’une poignée d’euros en plus par mois. Le salaire d’un commis ou d’un serveur débutant frôle donc encore le minimum légal, insuffisant pour compenser la pénibilité.
Le manque de perspective d’évolution est un autre frein : longtemps, un jeune pouvait gravir les échelons avec l’ancienneté, mais la génération Z, en quête de sens et d’apprentissage continu, se lasse vite si aucune progression n’est visible. Comme le souligne une enquête du cabinet de conseil Deloitte, l’équilibre vie-travail reste le critère numéro 1 des millennials et Gen Z, devant même la rémunération ; ces jeunes plébiscitent les formules souples (temps partiel, semaine de quatre jours…) qui leur laissent du temps libre.
Conscients de ces attentes, les employeurs innovent pour redorer l’attractivité de leurs métiers. Certains restaurants expérimentent par exemple la semaine de quatre jours ou des fermetures plus fréquentes. L’été dernier, face à l’hémorragie, plusieurs restaurateurs ont dû réduire leurs horaires d’ouverture, voire fermer des jours entiers faute de personnel. Plutôt que d’y voir une fatalité, certains y trouvent l’occasion d’améliorer la qualité de vie au travail.
Parallèlement, la technologie s’invite en renfort pour fluidifier l’organisation. L’automatisation et l’IA offrent des pistes pour optimiser la gestion des tâches répétitives et alléger la charge de travail des équipes. De la planification des shifts via des outils numériques, à la dématérialisation des pourboires ou au self-pay à table, et bien sûr au recrutement, ces solutions promettent de réduire la pression sur les employés et de rendre le quotidien plus gérable.
Signe d’espoir : après des années de surdité, une véritable prise de conscience semble s’opérer dans le CHR. La nouvelle génération ne rechigne pas à l’effort, à condition d’y trouver son compte. En offrant un cadre plus respectueux, salaires décents, emplois du temps compatibles avec une vie personnelle, respect du repos et formation continue, le secteur peut regagner en attractivité.
Les professionnels en témoignent : la passion du métier est toujours là, chez les jeunes comme chez leurs aînés, mais elle exige désormais un minimum de réciprocité. Redonner envie de « bosser » dans l’hôtellerie-restauration passera par ce défi : considérer enfin les travailleurs comme des atouts à fidéliser, et non comme une ressource corvéable. À en juger par les initiatives naissantes et les premiers retours positifs, le vent du changement commence à souffler sur les cuisines… et c’est tant mieux pour tout le monde.
Sources : Étude OpinionWay-Sirha Food (2024) ; Rapport Dares sur les tensions du marché du travail ; Deloitte Gen Z & Millennial Survey ; Témoignages recueillis sur Facebook via nos posts Restaff et autres groupes et forums professionnels
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